Pendant des décennies, les œuvres de Vladimir Sorokine, un auteur russe contemporain dont la carrière a débuté dans les années 1980, ont été considérées comme profondément choquantes et sensationnelles. Maîtrisant différents styles littéraires, il aimait déconstruire ses textes, les poussant vers l'ultra-violence la plus absurde. Sorokine était particulièrement à l'aise en dépeignant des massacres, la perversion et la coprophagie, sa réputation étant donc assez sulfureuse.
À partir de son roman de 2006 Journée d’un Opritchnik, Sorokine change d’approche et se concentre sur la représentation d'un monde imaginaire situé dans un avenir pas si lointain. L'action de ses derniers romans, Telluria (2013) et Manaraga (2017), a lieu durant la seconde moitié du XXIe siècle.
La carte du monde décrit dans le futur dystopique de Sorokine est tout à fait différente de la nôtre: de nombreux pays européens, Russie comprise, se sont désintégrés en des États plus petits, et la civilisation est en recul. Mais le progrès ne s'arrête jamais, et ce monde étrange voit encore survenir des percées technologiques.
Le tellure est un élément chimique qui existe dans le monde réel, mais le métal qui porte ce nom dans les romans de Sorokine est tout à fait différent. Le tellure de Sorokine est une drogue parfaite qui immerge la personne dans un bonheur sans limites, lui procurant une énergie et une intelligence élevées, un bonheur extrême et permettant même la communication avec les morts. « C'est une super-drogue et une voie spirituelle en même temps », a déclaré Sorokine au sujet du tellure dans une interview.
On obtient une dose de tellure en enfonçant un clou de ce métal dans la tête d’une personne afin qu’il ait un contact direct avec le cerveau. Bien sûr, seuls des spécialistes de renom peuvent effectuer une telle opération. Ils sont appelés charpentiers et voyagent autour de l'Eurasie en faisant leur travail contre de grosses sommes d’argent.
Le tellure de Sorokine est extrêmement coûteux, interdit dans de nombreux pays et tout simplement dangereux. Il y a 12% de chances pour que vous ne surviviez pas à une « dose ». Dans le monde de Telluria, cela n’empêche pas grand monde de partir en quête de ce métal précieux et de de profiter de ses effets incroyables.
Oubliez les smartphones et les tablettes. À l'avenir, si Sorokine a raison, l'humanité jouera avec des gadgets beaucoup plus impressionnants. Les oumnitsas (« intelligents ») sont des gadgets dotés d’une intelligence artificielle capables de parler avec leurs propriétaires et de changer de forme et de taille. Dans Telluria, Sorokine décrit des oumnitsas en forme de livres, d'images, d'écharpes et plus encore. En outre, les gens peuvent communiquer à l'aide d'hologrammes, non seulement en voyant, mais aussi en touchant physiquement leurs interlocuteurs qui se trouvent à l’autre bout du monde.
Dans Manaraga, Sorokine mentionne des gadgets encore plus poussés: les puces. Ce sont des implants technologiques minuscules placés dans les cheveux humains ou directement dans le cerveau et qui donnent accès à toutes les informations disponibles dans le monde.
« Avec mes puces, je peux lire dans 12 langues et découvrir n'importe quelle conférence scientifique possible », déclare le protagoniste de Manaraga. Quand un ennemi l'enlève et lui retire ses puces par le biais d’une opération chirurgicale, il se retrouve absolument impuissant. Dans le monde actuel, où les gens sont de plus en plus dépendants des gadgets, cela ne semble pas si éloigné de la réalité…
En parlant du protagoniste de Manaraga, son travail est plutôt étrange: il brûle des livres pour de l'argent. Selon Sorokine, les livres papier disparaîtront presque complètement à l’avenir, et seront remplacés par des versions numériques. Seules quelques copies papier seront conservées dans les musées sous la protection de l'État.
Mais le fruit défendu est le plus doux, et des chercheurs d'or volent ces livres rares et les cuisinent, en utilisant le papier comme carburant. Cette activité est considérée comme un divertissement très exotique et coûteux réservé aux riches. Une telle performance s'appelle « book-n-grill », et pour les dîners, le choix du livre qui sera brulé est crucial. Les romans policiers peu coûteux ne sont pas adaptés à un steak savoureux – seul un roman de Tolstoï, ou quelque chose de ce genre, fait alors l’affaire.
Sorokine explique qu'avec cette métaphore, il a essayé de réfléchir à l'avenir des livres. « Je crois que l'humanité ne supprimera pas complètement les livres imprimés. C'est une partie de notre monde qui ne peut pas être complètement détruite », a-t-il déclaré lors d'une interview.
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