Au sud-est de Moscou, se trouve le plus grand marché de Russie, « Sadovod » (Jardinier). Par une chaleur de près de 30 degrés, l’odeur de sueur, de saucisse en pâte et d’huiles de parfum se fait ici omniprésente. C'est aussi le royaume des sacs en plastique. Les vendeurs y mettent tout – robes chinoises, sous-vêtements, kebabs et autres cosmétiques prétendument conçus par les Kardashian.
Entre les rangées infinies de vêtements et de chaussures, se dressent des stands plus petits. Sur l'un d'eux, des sacs (non, pas des sacs à main, de simples sacs que l’on reçoit lors d’un achat) de marques célèbres – de Chanel à H&M – flottent au vent. Là, une femme, cheveux châtains, bien en chair, de petite taille et d’environ 45 ans, choisit méticuleusement entre des sacs D&G et Fendi à 30 roubles unité (45 centimes d’euro).
« Pourquoi avez-vous besoin d'un sac ? », lui demandé-je.
« Comment ça "pourquoi" ? Pour transporter mon déjeuner et mon parapluie au travail, ça ne rentre pas dans mon sac à main », me répond-elle en me montrant son sac, faisant la taille d’un petit cahier.
Une installation de 9 mètres sous la forme d'un sac en papier à côté du plus prestigieux magasin de Moscou, TsOuM.
Anton Denisov /Sputnik« Alors, peut-être pourriez-vous acheter un plus grand sac, ou juste un sac en tissu… ».
« Et puis quoi encore ? Pourquoi ne pas aller au bureau avec une valise à roulettes tant qu’on y est ? », me rétorque cette femme, indignée, tout en s'emparant du sac Dolce & Gabbana et en jetant de l'argent sur le comptoir, avant de disparaître dans la foule.
La vendeuse, d'apparence orientale, explique : les contrefaçons de sacs de magasins célèbres ne sont pas moins demandées que la gamme Gucci elle-même. De plus, beaucoup de gens les achètent pour emballer des cadeaux.
« Et l’écologie ? », m’enquiéré-je de manière absolument inappropriée.
« Et quoi l’écologie ? Essayer de cacher son manque d’argent pour des vêtements chers est plus important », objecte-t-elle.
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Selon un sondage du Centre panrusse d’étude de l'opinion publique (VTsIOM), 85 % des Russes sont prêts à totalement ou partiellement renoncer aux sacs plastiques. Cependant, dans la réalité, nous sommes encore loin d’un véritable rejet. Pour les Russes, c'est avant tout une question d'habitude et de commodité.
« Et dans quoi sortir les poubelles, si ce n’est dans des sacs ? À nouveau comme au bon vieux temps, sortir les seaux et les laver ensuite ? Merci ! », s’exclame Evguenia Zoubova, une coiffeuse de 35 ans.
Certains oublient simplement leurs sacs à la maison et en prennent de nouveaux au magasin pour leurs produits.
« On a plein de sacs en filet [l’« avoska » était un objet incontournable en URSS, ndlr] chez nous, on s’en sert. Mais malgré tout, à la maison des sacs plastiques font leur apparition, lorsque tu sors, que tu fais en chemin un achat non programmé, et que tu n’as donc pas de sac sur toi », raconte Polina Jouchman, utilisatrice du réseau social russe VKontakte.
Un autre problème lié au passage aux sacs en papier ou aux sacs écologiques est leur coût élevé, explique Edouard Klitchnikov, étudiant de 22 ans.
« La Russie n'est pas prête financièrement à passer complètement aux éco-sacs, tout le monde n'a pas les moyens pour. Pourquoi ne pas les rendre bon marché ? Pas pour 15-50 roubles (20-75 centimes d’euro), mais pour 5-10 roubles (7-15 centimes d’euro) au moins », s’indigne-t-il.
Irina Tikhonova, une secrétaire moscovite de 50 ans, rejoint cet avis. Chez elle, toutefois, les sacs plastiques sont utilisés plusieurs fois, jusqu'à ce qu'ils se déchirent.
« En Union soviétique, tous nos produits, le beurre, par exemple, étaient placés dans un emballage en papier, et gratuitement. Et maintenant quoi ? Avec de tels prix pour ces éco-sacs, au diable l'écologie ! », s’insurge-t-elle.
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Sofia Logvinova, militante du mouvement écologiste « Collecte sélective », est certaine que les gens ne disposent tout simplement pas d’assez d'informations pour penser à l'impact important des sacs plastiques sur l'environnement.
« Pour certains cela suffit d’apprendre qu'une personne utilise annuellement des centaines de sacs plastiques, qui mettent 200-300 ans à se décomposer. Pour d’autres, il est nécessaire de réfléchir, de lire au sujet des microplastiques ou sur le fait que Coca-Cola produit 200 000 bouteilles par minute. Il faut chercher une approche propre à chacun », explique-t-elle
Dina Khitrova, utilisatrice de Facebook originaire d’Ekaterinbourg, a remplacé il y a deux ans son fameux sac à sacs plastiques pour un sac à sacs écologiques, qu’elle coud elle-même.
« À proximité, il y a non seulement des chaînes de magasins, mais aussi des petits kiosques proposant des fruits, légumes, herbes, pain, etc. Visiblement je suis une curiosité locale : parfois, à la caisse, j'entends des exclamations "Oh, où avez-vous eu ces sacs ?" ou "Dedans, tout se conserve certainement mieux et ne s'embue pas" », a-t-elle écrit sur sa page.
D’après ses dires, elle commence déjà à sentir que les gens souhaitent suivre son exemple.
« J'admets que chez nous, en Russie, ce sujet est nouveau et ne touche pas encore les foules. Mais bon, peut-être qu'un jour les gens s’éveilleront suffisamment pour s’emparer de sacs écologiques. L'essentiel est qu’il y ait un exemple vivant ! », assure Dina.
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Les enseignes russes de grande distribution soutiennent quant à elles l'idée de rejeter les sacs en plastique. Fin mai 2019, la chaîne russe de supermarchés Piaterotchka a lancé la vente de sacs réutilisables en lin et en papier dans les grandes villes du pays. D'autres grands détaillants, tels que VkousVill, Auchan et Azbouka Vkoussa, ont de leur côté rendu payants les sacs plastiques et proposent désormais à l’achat des sacs réutilisables.
Enfin, en avril, la Douma d'État (Chambre basse du parlement) a suggéré d'interdire l'utilisation des sacs plastiques à partir de 2025.
Dans cet autre article, retrouvez sept habitudes soviétiques qui seraient aujourd’hui qualifiées d’écologiques.
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