Des publicités inhabituelles ont envahi Moscou le 16 mars, faisant leur apparition dans le métro et sur les panneaux d’affichage de la ville. Elles relataient l’histoire de six personnes, présentées comme une journaliste, un professeur de littérature, un fan de football, un polyglotte ou encore un détenteur du titre d’Artiste émérite de la Fédération de Russie. Une chose les unissait cependant : toutes étaient livreurs chez Delivery Club, l’une des deux plus grandes compagnies de livraison de nourriture dans le pays.
« Votre commande sera livrée par un professeur de littérature » affirme l’une des publicités, sur laquelle figure Abdisattar, un homme d’âge moyen et semblant originaire d’Asie centrale. « Abdisattar est amateur de tourisme en montagne et père de trois enfants ». Toutes les autres affiches ont été imaginées sur le même schéma : un nom et plusieurs détails personnels. Les intentions semblaient bonnes, mais l’effet de cette campagne a été, au mieux, particulièrement polémique.
« Cette fois nous ne promouvons pas Delivery Club, nous faisons la publicité du job », a souligné Anastasia Jbanova, du groupe Mail.ru, auquel appartient Delivery Club.
« Nous avons choisi six livreurs différents et avons essayé de les montrer comme des personnes avec leurs passions et talents, non pas comme des travailleurs sans visage. Certains travaillaient ou travaillent dans des domaines divers. Respectez les livreurs, ils sont vraiment chouettes », poursuit-elle, insistant sur le fait que ces six individus n’étaient pas des acteurs, mais de véritables livreurs.
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À en juger par les réactions des internautes sur les réseaux sociaux, un grand nombre de personnes n’ont toutefois pas apprécié cette campagne publicitaire, la trouvant humiliante pour ceux se retrouvant dans l’obligation de travailler comme livreurs pour subvenir à leurs besoins. Les critiques pointent en effet du doigt le ton trop positif de ces publicités ainsi que le fait qu’elles semblent ignorer les graves problèmes des spécialités professionnelles sous-payées et des migrants employés à des postes dévalorisants, quel que soit leur niveau d’instruction.
А у меня одного эта реклама Деливери клаба вызывает грустные мысли о том, что люди многих специальностей остались на свалке современности и стали работать курьерами, чтоб хоть как-то выжить? pic.twitter.com/VXOLAtccPL
— анатолий ноготочки💅 (@A_Kapustin) 16 mai 2019
« Suis-j e le seul à me sentir triste pour ces gens de différentes professions qui n’ont d’autre choix que de devenir livreurs juste pour survivre d’une manière ou d’une autre ? »
Меж тем реклама деливери клаба пробивает дно. Стоило бы задуматься, почему учитель литературы вынужден подрабатывать пешим курьером, но зачем думать, когда надо делать рекламную компанию pic.twitter.com/weIKTG0Zwy
— пухлый барсик (@l_owlie) 16 mai 2019
« Pendant ce temps, la publicité de Delivery Club touche le fond. Vous auriez pu penser aux raisons ayant poussé un professeur de littérature à travailler comme livreur, mais qui a besoin de penser alors que vous faites une campagne publicitaire ? »
« Cette publicité est dégueulasse. Son but est que l’habitant prétentieux de Moscou sente sa supériorité sur les migrants. Oh, regarde, un Tadjik avec une éducation supérieure m’apporte ma bouffe au bureau. Voilà quelques kopeks, professeur Abdisattar ».
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Plusieurs personnes ont néanmoins considéré la campagne de Delivery Club comme appropriée.
я считаю тут посыл в другом - несмотря на то, что они работают курьерами, у них есть разносторонние увлечения, высшее образование, семья и хобби
— тупой деку (@stupid_nerd_) 17 mai 2019
нет здесь ущемления и расизма. опять люди видят то что хотят увидеть
« Je pense que le message n’est pas une question d’humiliation ou de racisme. Bien que ces personnes travaillent comme livreurs, elles ont différents passe-temps, une éducation supérieure, une famille … Et les gens voient uniquement ce qu’ils veulent y voir ».
Наверное они хотят сказать, что он тоже человек. У него есть интересы,профессия и жизнь. Но Реклама грустная,ведь приятнее думать что в доставке работают только обрыганы...а тут вон как.Человек зарабатывает что бы выжить.
— Мордовский талисманчик. (@RuMatreshka) 16 mai 2019
« Je suppose qu’ils essayent de dire qu’il [Abdisattar] est aussi un être humain, avec ses centres d’intérêts, sa vie et sa profession. Bien entendu, la publicité est triste, il est plus facile de croire que seuls des punks travaillent dans la livraison. Mais cet homme travaille pour subvenir à ses besoins ».
Les représentants de Delivery Club assurent quant à eux qu’ils continueront d’œuvrer à la dé-stigmatisation du travail de livreur, souvent vu comme un emploi sous-payé, fatigant et non important. « Les réactions que nous voyons, malheureusement, reflètent les stéréotypes sur le métier de livreur … Leur travail est difficile et important, il ne doit pas être dévalué », a ainsi expliqué le service de presse de l’entreprise à l’antenne de la radio Govorit Moskva.
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Une nouvelle vague de polémique a toutefois débuté après qu’a été découvert que les soi-disant livreurs sur les publicités n’étaient en réalité peut-être pas des employés de Delivery Club. C’est tout au moins le cas de l’un d’entre eux, Natalia, présentée dans la campagne comme « une journaliste ayant travaillé sur une chaîne fédérale pendant sept ans ».
Elle a en effet publié cette publicité sur son compte Instagram et une amie lui a alors demandé de quoi il s’agissait, ce à quoi elle a répondu : « Eh bien, tu ne demandes pas à Olga Bouzova [une populaire chanteuse et présentatrice télé tournant aussi dans des pubs] si elle utilise réellement Always [serviettes hygiéniques] dont elle fait la promotion ». Dans les détails indiqués à son sujet sur les réseaux sociaux, la jeune femme n’a par ailleurs indiqué nulle part être employée par Delivery Club, mais uniquement être journaliste.
Parallèlement, Anastasia Jdanova confirme que Natalia travaille réellement pour la société, et qu’elle y dispose d’un emploi du temps ainsi que d’un contrat. Dans une interview avec le magazine Inc. Russia, Natalia explique travailler chez Delivery Club pour se faire de l’argent, lassée de son job dans les médias. « C’est un bon choix et ça paye bien », a-t-elle alors précisé.
« Cette histoire sent le poisson », écrit enfin l’internaute Viktor Koulganek. Et cela résume à merveille l’impression générale.
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Bien entendu, bon nombre de personnes se sont juste amusées de la situation entière, moquant la controverse autour de la campagne. Beaucoup ont d’ailleurs détourné le slogan de cette dernière « Votre commande sera livrée … ».
Ваш заказ доставит наш бывший маркетолог
— Лось (19,6) (@poooovar) 16 mai 2019
« Votre commande sera livrée par l’ancien spécialiste marketing de Delivery Club ».
Ваш заказ доставит бывший криптовалютный инвестор.
— историк-алкоголик (@AlcoHistory) 16 mai 2019
« Votre commande sera livrée par un ancien investisseur en crypto-monnaies ».
— Никотинка с Бровями+ (@Yoghikitt) 16 mai 2019
« Votre commande sera livrée par la Reine Daenerys du Typhon de la maison Targaryen, Héritière légitime du Trône de Fer, Reine légitime des Andals et des Premiers Hommes, Protectrice des sept couronnes, Mère des dragons, Khalessi de la grande mer herbeuses, L'imbrûlée et briseuse de chaînes ».
Dans cet autre article, nous vous présentions justement les meilleurs services de livraison de nourriture de Moscou.
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