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Les Soviétiques connaissaient bien la désignation du dollar – on la trouvait souvent dans les caricatures des magazines nationaux contre l'Occident, « l'ennemi capitaliste ». Savaient-ils exactement à quoi ressemblait le billet d'un dollar ? La plupart d'entre eux, non. Tout simplement parce que beaucoup de gens avant l'effondrement de l'Union soviétique n’avaient jamais tenu de dollars entre leurs mains (il y avait d’ailleurs des cas de fraude, lorsque des trafiquants de devises vendaient des dollars rouges sur le marché noir et assuraient qu’à l’étranger il était possible de les échanger au plus fort taux).
Il n'était possible d'acheter des devises étrangères que dans des conditions strictes. La violation des règles était passible de sanctions sévères, pouvant aller jusqu'à l'exécution.
Dans une banque d'État d'URSS
Iakov Berliner/SputnikTout d'abord, l'État avait le monopole sur toutes les transactions de change. Il n'y avait pas d'échangeurs dans les passages souterrains ou sur les grandes routes touristiques.
Deuxièmement, un citoyen soviétique ordinaire ne pouvait avoir exclusivement affaire qu’au rouble. Et ce n'est que si les autorités l'autorisaient à se rendre à l'étranger pour une courte période qu'il pouvait échanger des roubles contre d’autres devises. L'échange avait lieu uniquement dans une succursale de la Vnechtorgbank (la banque du commerce extérieur de l'URSS) et seulement avant midi. L’on autorisait l’accès à cet établissement par petits groupes, tandis qu'à l'entrée deux miliciens (la milice était le nom de la police à l’époque) vérifiaient l'autorisation de voyager à l'étranger.
À son retour dans le pays (après avoir déclaré préalablement la monnaie à la douane), il était nécessaire de la remettre à l'État dans un délai de quelques jours. En échange, des certificats spéciaux étaient délivrés, qui pouvaient être dépensés dans la chaîne de magasins Beriozka. Contrairement aux magasins ordinaires aux rayons vides et en pénurie totale, l'abondance régnait toujours à Beriozka. Néanmoins, les chanceux ayant l’opportunité d’aller à ce magasin étaient peu nombreux : généralement, il s’agissait des diplomates, des marins, des membres de l’élite du Parti, des athlètes ou des artistes.
Dans un magasin Beriozka à Leningrad (actuelle Saint-Pétersbourg)
Boris Lossine/SputnikLire aussi : Où est passé l’or du Parti communiste dans les années 1990?
Mais cette procédure ne concernait que l'argent échangé à l'intérieur de l'Union soviétique. Si l'argent était gagné directement à l'étranger, il existait un autre schéma : vous deviez d'abord donner l'argent à l'État, qui s’appropriait un pourcentage, et le reste était déposé sur un compte bancaire à votre nom. Vous ne pouviez le retirer que lors de vos prochains voyages à l'étranger.
Pour transférer de l'argent à l'étranger et le retirer dans une banque étrangère, vous deviez également obtenir une autorisation spéciale de l'État.
Toutes ces règles ne s'appliquaient pas aux étrangers qui pouvaient facilement dépenser des dollars au Beriozka soviétique ou les échanger contre des roubles au taux officiel. Comment le taux était-il fixé, vous demandez-vous, s'il n'y avait aucune possibilité de le justifier par l'offre ou la demande ? Eh bien, le système soviétique prévoyait ce point également.
Magasin Beriozka
Iouri Leviant/SputnikContre des roubles, même si vous en aviez la permission, vous ne pouviez obtenir qu’une somme limitée de devises étrangères. Officiellement, le change était soumis à une limite de 30 roubles. « Les citoyens soviétiques, d'ailleurs, emportaient une valise de conserves avec eux, afin de ne pas dépenser de précieuses devises en nourriture, mais d'acheter quelques vêtements », témoigne-t-on aujourd'hui sur Internet.
Le change officiel était effectué à un taux déraisonnablement bas – 67 kopecks par dollar. Le paradoxe était que chaque mois, Izvestia, le journal officiel des organes dirigeants du pouvoir soviétique, publiait le taux de change du rouble par rapport aux devises étrangères, avec de légères fluctuations d'un mois à l'autre. C'est-à-dire que chaque citoyen soviétique pouvait lire que, par exemple, en septembre 1978, seuls 67,10 roubles étaient donnés pour 100 dollars, 15,42 roubles pour 100 francs français et 33,76 roubles pour 100 marks allemands.
Magasin de souvenirs Beriozka auprès de l'hôtel Sovietskaïa, à Leningrad (aujourd'hui Azimut Hotel Saint-Pétersbourg)
Vladimir Tselik/SputnikEn regardant ce taux, la conclusion était claire : le rouble soviétique est l'unité monétaire la plus forte au monde. Ces rapports sur les taux de change n'avaient qu'un seul but, la propagande. En fait, tout cela était très loin de la réalité du marché.
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Citoyens étrangers échangeant leurs devises à l'hôtel Intourist
A. Babouchkine/TASSLe peuple soviétique a été « coupé » des devises étrangères en 1927, lorsque les bolcheviks ont interdit le marché privé des devises. Avant cela, il était possible de vendre, de stocker et d'effectuer des transferts de devises de n'importe quel pays sans aucun problème. Exactement dix ans plus tard, le 25e article, qui assimilait les transactions monétaires à des crimes d'État, est apparu dans la législation pénale.
Joseph Staline a expliqué l'interdiction du dollar comme suit : « Si un pays socialiste lie sa monnaie à celle d’un pays capitaliste, alors le pays socialiste doit oublier son système financier et économique stable et indépendant ».
Pour vente illégale de devises, l’on pouvait alors être emprisonné pour une durée maximale de huit ans. Or, déjà en 1961, sous Nikita Khrouchtchev, le code pénal s’est vu doter de l’article 88 : il prévoyait des peines allant de trois ans de prison à la peine de mort (par fusillade), s’il était question de montants particulièrement élevés.
Devises confisquées à des trafiquants et présentées aux journalistes durant une conférence de presse au Département principal de l'Intérieur du Comité exécutif du Conseil de la ville de Moscou
Alexandre Choguine/TASSCette persécution féroce des trafiquants s'expliquait par un marché noir des devises véritablement prospère sur fond d'interdictions officielles. C'est en vérité là que le taux réel du rouble soviétique par rapport au dollar américain était fixé, et il ne correspondait pas à 67 kopecks, mais à 8-10 roubles par dollar.
Les trafiquants, à leur tour, achetaient des dollars aux touristes étrangers, attendant ceux-ci dans les hôtels. Les étrangers, ayant entendu l'offre de change, acceptaient de bon gré – les trafiquants de devises achetaient le dollar cinq à six fois plus cher que dans la banque soviétique au taux officiel.
Ian Rokotov, trafiquant de marchandises et de devises, condamné à mort
Photographie d’archivesL'interdiction stalinienne et « l’article d’exécution » pour possession illégale de devises ont duré jusqu'en 1994. Néanmoins, c’est un peu plus tôt que les autorités ont commencé à fermer les yeux sur cette situation, comme certains le rappellent désormais : « J'ai commandé dans un débit de boisson (c’était en 1990) deux shots de vodka et deux sandwiches au jambon et, en silence, j'ai posé mon premier dollar (on me l'avait offert). On m'a, également en silence, rendu un peu de monnaie en roubles ».
Dans cet autre article, nous vous expliquons comment fonctionnait le marché noir de produits étrangers en URSS, tels que les jeans et les cigarettes.
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