Musée de Guennadi Ioudine à Krasnoïarsk
Elena LarionovaRussia Beyond désormais sur Telegram ! Pour recevoir nos articles directement sur votre appareil mobile, abonnez-vous gratuitement sur https://t.me/russiabeyond_fr
Quand vous arrivez à Krasnoïarsk (à environ 4 000 kilomètres de Moscou) en train depuis l'est, vous pouvez apercevoir, avant d'arriver en gare, des maisons en bois à un étage et à chambranles sculptés le long des rives du fleuve Ienisseï. C'est le musée et le manoir de Guennadi Ioudine, marchand sibérien, entrepreneur et l'un des plus grands collectionneurs de livres de Russie. Au XIXe siècle, Ioudine conservait son impressionnante collection d’ouvrages dans ce manoir, et y vivait avec sa femme et ses enfants. Ses livres ne peuvent désormais être lus qu'à la bibliothèque du Congrès des États-Unis, mais nous y reviendrons plus tard.
Guennadi Ioudine
Domaine publicOlga Mironova, directrice du musée et du manoir de Ioudine, dit : « Il y a de la place dans l'Histoire pour les grandes choses, mais aussi pour la vie quotidienne. Quand nous parlons de Ioudine et de sa famille, chaque visiteur trouve dans le musée quelque chose qui lui est proche : l'amour des livres, des voyages, des histoires de famille, des collections ou de l'esprit d'entreprise ».
Dans le musée, l’on peut vraiment ressentir le romantisme du manoir : les visiteurs, allant de salle en salle, s'imaginent être marchands ou nobles, comment pourrait être leur vie dans cette maison ou encore l'atmosphère des pièces, raconte Mironova.
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Guennadi Ioudine a commencé à collectionner les livres à l'âge de 14 ans, et a dédié sa vie à sa passion. On trouve dans sa collection la première édition de Le Dit de la campagne d'Igor, Voyage de Pétersbourg à Moscou de Radichtchev, des cartes de la Sibérie, ou encore des manuscrits racontant la colonisation de l'Amérique par les Russes. Fin 1905, il y avait près de 81 000 volumes et 500 000 documents dans la bibliothèque de Ioudine. En nombre de volumes, c'était la plus importante collection privée de la Russie prérévolutionnaire.
« J'admire cette capacité qu'il avait de vivre avec style, raconte Olga, en nous montrant le cabinet du catalogue du collectionneur, où le pays de Narnia de C.S. Lewis pourrait se cacher. Ioudine classifiait tout, et maintenait sa collection en parfait état. Je pense que cela a été très dur pour lui de s'en séparer, 40 ans après ».
En effet, en 1898, Guennadi Ioudine a décidé de vendre sa bibliothèque. Il avait quelques raisons de faire cela : l'âge, la perte de ses deux fils, une situation financière fragile. La vie politique révolutionnaire en Russie y a également joué un rôle. Le collectionneur a tenté de vendre sa collection au sein de son pays, et a même écrit au tsar Nicolas II, mais il a finalement cédé sa collection de l'autre côté de l'océan, à la bibliothèque du Congrès des États-Unis, pour trois fois moins que sa valeur réelle. À cette même époque, la bibliothèque du Congrès créait une section slave, si bien que la collection de livres sur l'histoire et la littérature russes de Ioudine est arrivée en Amérique au moment opportun.
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Il y a une photo d'amateur au musée, qui montre comment, en 1907, cette immense collection a quitté la Sibérie : les livres ont été transportés dans des attelages jusqu'à la gare, ont ensuite été emmenés par cinq wagons de fret jusqu'à Hambourg, et ont enfin navigué sur un bateau à vapeur jusqu'à Washington.
À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les riches citoyens prenaient un ferry ou un petit bateau pour aller sur les rives du fleuve Ienisseï afin de profiter des hauteurs voisines, de l'air pur et des produits locaux. Dans leur datcha, ils faisaient pousser des légumes et des baies, avec lesquelles ils faisaient de la confiture dans de grands pots en métal. Une amie des Ioudine se souvenait de leur datcha : toute la famille se rassemblait pour danser au son de l'accordéon, caraméliser des baies d'aubépine au feu de camp, pêcher et se baigner dans le fleuve. Leurs jeux préférés étaient alors le badminton, le gorodki (un jeu russe semblable au jeu de quilles) et le croquet.
Au musée, on peut également voir les vêtements à la mode portés à la datcha à l'époque. Vous ne verrez pas de pantalons déchirés, de vestes raccommodées ou de pulls déformés et mangés par les mites que les Russes, aujourd'hui, portent spécifiquement « à la datcha » ou « pour la récolte des pommes de terre ». Les robes, chapeaux et parapluies des dames sont accrochés au mur ; il n'était pas à la mode, en ce temps-là, d'avoir le teint hâlé par le Soleil. Les costumes clairs de Guennadi Ioudine, son gramophone et son gros samovar pour boire le thé sont le clou de la collection.
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Maria Ioudina, la fille du marchand, était très intéressée par la botanique : elle avait un herbier et collectait les insectes, qu'elle plaçait dans un insectarium, un objet curieux que les employés du musée appellent affectueusement boukarachnitsa, du mot russe boukachka, qui signifie insecte. La famille plaisantait à propos de la jeune fille : « Pas besoin de foin aujourd'hui, Maria Gennadievna a ramené suffisamment d'herbe pour nourrir tout le bétail ».
Guennadi Ioudine n'a pas seulement voyagé dans l'Empire russe, mais aussi en France, en Italie, en Suisse, et au Proche-Orient, notamment en Palestine, agrandissant à chaque fois sa collection sibérienne de livres. Les œuvres qu'il achetait à l'étranger étaient transportées dans des valises spéciales, qui ne pouvaient être soulevées que par deux hommes forts. Ces anciens accessoires de voyage sont également exposés au musée.
À la fin du XIXe siècle, voyager coûtait très cher. Plusieurs objets exposés dans le manoir en témoignent : on peut voir, par exemple, une caricature d'un voyageur de ce temps-là qui achetait un billet de train : l'homme corpulent a perdu beaucoup de poids après avoir acheté son ticket, et la tenue élégante de sa femme est devenue miteuse. On peut aussi voir une vieille annonce « Recherche compagnon de voyage », qui était l'équivalent du covoiturage au XIXe siècle : louer un attelage seul était trop coûteux.
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Le manoir change les plans habituels des visiteurs de musée. Vite entrer dans une pièce, prendre un selfie et se dépêcher d'aller visiter d'autres lieux à Krasnoïarsk n'est pas possible ; la vieille maison attire les voyageurs et ne les laisse pas partir rapidement. Après vous avoir conté les histoires des marchands, les guides vous offriront du thé préparé dans un samovar, vous serez bercé par la musique relaxante jouée sur un ancien gramophone, et enfin, à la sortie du musée, vous vous arrêterez pour jouer au croquet ou au gorodki du XIXe siècle.
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