Fort-Whiteman, le premier communiste noir né aux États-Unis, est également le seul Afro-américain connu à être mort dans un camp de travail soviétique. Pourtant, tout avait bien commencé. Né à Dallas, au Texas, dans la famille d'un ancien esclave, Fort Whiteman défendit les droits civils des Afro-Américains et rejoignit le Parti travailliste communiste américain en 1919.
Les Soviétiques, férus d’internationalisme, accueillirent à bras ouvert ce communiste noir : dans les années 1920, Fort-Whiteman suivit une formation en Union soviétique et devint membre de l’organisation communiste internationale Komintern. L’activiste fonda ensuite l'ANLC (American Negro Labour Congress), organisation officielle des communistes noirs aux États-Unis.
« C’était un journaliste de talent, un très bon boxeur, une sorte d’homme de la Renaissance qui connaissait quatre langues étrangères et rêvait d’apprendre toute sa vie », a déclaré l’historien Sergueï Jouravlev. À partir de 1928, Fort-Whiteman vécut à Moscou. Enseignant dans une école anglo-américaine, il épousa même une femme russe.
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Fort-Whiteman n'abandonna jamais sa citoyenneté américaine et il demanda son retour aux États-Unis en 1933. Cette demande fut cependant refusée. Au milieu des années 1930, après un affrontement interne au sein du Komintern, d'anciens camarades le dénoncèrent en tant que trotskiste. Initialement condamné à cinq années d'exil interne, en 1938, Fort-Whiteman fut envoyé dans un camp de travail de la Kolyma, dans la région de l'Extrême-Orient russe, où il mourut au bout d'un an.
« Dans la Kolyma, personne ne l'a pleuré, personne ne savait qu'il était le premier communiste afro-américain. Personne ne connaissait son ardeur, son courage, sa foi inébranlable en les travailleurs pauvres », a écrit le professeur Glenda Elizabeth Gilmore dans son livre Défier Dixie : Les racines radicales des droits civils.
Les années 1930 furent une période difficile pour les agriculteurs américains et la classe ouvrière en raison de la grande dépression, il n'est donc pas surprenant que nombre d’entre eux aient adopté les idées de la gauche et que certains soient partis pour l'URSS. C'est ce qui arriva à Thomas Sgovio, un jeune homme ayant suivi son père Joseph, un communiste italo-américain expulsé des États-Unis en 1935. Thomas Sgovio avait 19 ans et passera 25 ans en URSS.
« Quand Thomas a déménagé en URSS, il a cru entrer dans le pays de la liberté. Au début, c'était formidable. Il adorait la vie, il était jeune, il fréquentait des clubs de danse pour travailleurs étrangers ici à Moscou, il rencontrait des filles... », explique Sergueï Jouravlev.
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La lune de miel prit toutefois fin trois ans plus tard, lorsque les autorités soviétiques arrêtèrent Joseph Sgovio. Thomas tenta de rétablir son passeport américain à l'ambassade américaine de Moscou. Immédiatement après sa sortie du bâtiment, deux hommes procédèrent à son arrestation. Le jugement fut rapide : en tant qu’« élément socialement dangereux », le jeune Américain a été condamné aux travaux forcés.
Il passa donc 16 ans dans le système de camps du goulag soviétique, y compris ceux de la Kolyma, où est décédé Fort-Whiteman. Sgovio fut néanmoins plus chanceux. « C’était un artiste talentueux qui a réalisé des portraits de criminels locaux dans les camps ; cela l’a aidé à obtenir des travaux moins pénibles », dit Jouravlev.
Mais après près de deux décennies au goulag, ce n’était évidemment plus un jeune homme fringant. « Quand il est revenu des camps en 1954, il se rappela comment il dormait sur des draps blancs et ne pouvait s'habituer à l'absence de poux pendant un mois », a déclaré Svetlana Fadeïeva, de la Memorial International Society. En 1960, Sgovio fut finalement autorisé à quitter l’URSS. Il retourna aux États-Unis où il rédigea un livre, Chère Amérique ! Pourquoi je me suis retourné contre le communisme, décrivant ses moments difficiles dans les camps soviétiques.
« Tu as déjà été à Laredo ? A la frontière entre le Texas et le Mexique ? De petites structures délabrées, des chevaux et des wagons... c'était comme si le monde se terminait ici ». C'est ainsi que Dennis Burn, un citoyen américain emprisonné en URSS, a décrit un camp de Mordovie (à environ 400 km à l’est de Moscou) où il passa sept ans. Et c’est peut-être la seule et unique comparaison existant entre la Mordovie et le Texas…
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À la différence de Fort-Whiteman ou de Sgovio, Dennis Burn n'était pas un communiste fasciné par les opportunités de l'URSS. Son histoire ressemble plus à un film de Quentin Tarantino sur les petits criminels des bas-fonds. Jeune homme de 26 ans vivant dans le Queens, à New York, il fut invité à rejoindre un gang international de trafiquants de drogue en 1976 et accepta l'offre.
Un jour, alors que lui et deux autres Américains (Paul Brawer et Gerald Amster) transportaient 62 livres (28 kg) d'héroïne dans trois valises à faux fonds de Kuala Lumpur, en Malaisie, à Paris, avec une correspondance à Moscou, et après une vérification inattendue, Burn fut attrapé et les trois passeurs furent arrêtés et accusés de trafic de drogue. Burn fut alors envoyé au goulag pendant sept ans. Brawer écopa quant à lui de cinq ans et Amster de huit, mais Burn fut été le seul à purger sa peine d'emprisonnement.
Le camp mordve était une prison spéciale dans laquelle étaient emprisonnés la plupart des étrangers. Bien que ce ne fût rien comparé à l'époque de Staline, où les détenus mouraient de faim, Burn n'apprécia que peu son séjour dans cette prison, notamment le menu, en particulier le lard : « Une sorte de bacon, mais juste blanc, vous savez, juste le gras ; j’ai dit: "Vous êtes fous, vous mangez ça?" ».
Néanmoins, l’ancienne « mule » était assez têtue pour y participer à des grèves de la faim et du travail. Lors d'entretiens ultérieurs, lui et Amster confirmèrent que c'était la raison pour laquelle il n'avait pas été libéré plus tôt. Après être sorti du camp et avoir quitté l'URSS immédiatement en 1983, il déclara : « J'ai appris à apprécier les choses, les petites choses ». Il disparu ensuite dans l'obscurité de laquelle il était venu.
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