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Festin d'Ivan le Terrible dans sa résidence de la Sloboda d'́Alexandrov
Iouri SergueïevLorsque Sigismond von Herberstein, ambassadeur autrichien en Russie, se rendit à la cour du grand-prince Vassili III de Moscou en 1526, il fut convié à un festin honorifique, où il vit pour la première fois des cygnes rôtis, un plat dont les dirigeants moscovites se vantaient.
Voici la façon dont il décrivit la scène : « Les serveurs ont tout d'abord apporté du brandy, que [les Russes] boivent toujours au début du dîner ; puis ont amené des cygnes rôtis, qu'ils avaient l'habitude de servir aux invités en guise de premier plat. Trois d'entre eux ayant été placés devant le prince, il les a percé avec son couteau pour déterminer lequel était meilleur et aurait donc sa préférence, ensuite il a immédiatement ordonné qu’ils soient emportés. Les cygnes ont finalement été servis, après avoir été découpés et divisés en morceaux, dans des plats plus petits... ».
Sigismund von Herberstein (1486-1566)
Domaine publicHerberstein nota par ailleurs qu'en mangeant la viande de cygne, les Russes utilisaient une sauce à base de vinaigre, de sel et de poivre. Cette volaille était considérée comme de la nourriture digne d'un tsar, aussi, si les invités n'étaient pas assez nobles et importants, aucun cygne rôti ne leur était servi. En outre, ce plat ornait la table personnelle du tsar à chaque grande fête et le bec de l’animal était fréquemment recouvert d'une feuille d'or.
Néanmoins, le secret de préparation des cygnes rôtis tomba dans l’oubli. Au XIXe siècle, Sergueï Aksakov, écrivain et chasseur, témoigna : « Je ne comprends pas pourquoi les cygnes étaient considérés par nos grands-princes et tsars comme une nourriture délicieuse et honorifique. À l’époque, ils connaissaient sûrement un meilleur moyen de rendre sa viande tendre ».
Festin du tsar au palais à facettes du Kremlin de Moscou, 1673
Domaine publicSi la recette originelle a disparu, l’on suppose toutefois que les cygnes rôtis étaient marinés dans du vinaigre et/ou du lait fermenté, puis préparés dans un four russe. Et seule une cuisson douce de la viande, sans la faire rôtir à feu ouvert, pouvait la rendre juteuse.
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Un esturgeon géant
E. Meyer200 jours par an, les croyants orthodoxes russes sont censés effectuer un jeûne. Les tsars et les grands-princes respectaient eux aussi cette tradition, comme tous les Russes. Mais quand une célébration à la cour, par exemple la fête de la tsarine ou la date anniversaire du couronnement, tombait un jour de jeûne, quels plats d'élite pouvaient être servis à la place de la viande, qui était donc interdite ? En réalité, les Russes ont appris à imiter la viande avec du poisson, qui lui était autorisé. Ce plat était appelé telnoïé, ce qui se traduit comme « qui ressemble à un corps ».
Paul, l'archidiacre d'Alep, qui visita Moscou en 1654-1656, décrivit le telnoïé de la façon suivante : « Enlever toutes les arrêtes d'un poisson, le broyer au mortier, jusqu'à ce qu'il devienne comme de la pâte, puis ajouter des oignons et du safran, le mettre dans des moules en bois en forme d’agneaux et de petites oies, et le cuire dans de l’huile végétale, dans des casseroles profondes en forme de puits pour le rôtir complètement... Le goût est excellent, on peut facilement le prendre pour de la véritable viande d’agneau ». En 1678, le voyageur tchèque Bernhard Tanner écrivait quant à lui que « l'art des cuisiniers moscovites peut transformer le poisson en coqs, poulets, oies et canards, en faisant ressembler le poisson à ces animaux ». Les historiens gastronomiques russes Olga et Pavel Sioutkine n'ont d’ailleurs trouvé de plat similaire dans aucune autre cuisine du monde, ce qui rend ce met indéniablement unique.
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Alexandre Ier (1777-1825)
Stepan ChtchoukineL'empereur Alexandre Ier (souverain de Russie de 1801 à 1825) était allemand de sang et avait été élevé dans les meilleures manières royales par sa grand-mère, Catherine II, également d'origine allemande. Mais ce qu'Alexandre avait hérité de sa grand-mère, c'est aussi l'amour de la Russie, et de sa cuisine. Son plat préféré était la botvinia, soupe aux légumes la moins chère que chaque femme russe savait cuisiner.
Il s’agissait d’une soupe froide d'été. Son nom est dérivé de « botva », « fane » en russe, et elle était principalement préparée à partir de feuilles de betteraves. Les fanes de betterave, d’épinard et d'oseille étaient bouillies pendant 1 à 2 minutes, puis hachées avec des concombres marinés, de l'aneth et de l’oignon vert. Ensuite, tout était immergé dans du kvas blanc qui servait de bouillon. Le poisson blanc (esturgeon) était ensuite généralement servi avec.
Botvinia
Legion MediaIl existe d’ailleurs une histoire amusante à propos d’Alexandre et de la botvinia. Le tsar était très ami avec l'ambassadeur d'Angleterre et, un beau jour, en discutant de la cuisine russe, il s’aperçut que le Britannique n'avait jamais goûté ce plat. Par conséquent, plus tard, dès que de la botvinia fut servie au tsar, Alexandre ordonna qu'une portion soit envoyée à l'ambassadeur. Mais le cuisinier de ce dernier, ne sachant pas que cette soupe devait être servie froide, la réchauffa. Ainsi, au cours de leur rencontre suivante, l’empereur demanda à son ami s'il avait apprécié sa soupe préférée. L'ambassadeur, qui, à ce moment-là avait déjà compris l'erreur de son cuisinier, répondit poliment : « Un plat réchauffé ne peut être aussi bon que lorsqu’il vient d'être préparé ».
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Pastèque salée
Legion MediaEn raison du climat froid, nos ancêtres, qui n'avaient pas de réfrigérateurs, ne pouvaient consommer des fruits et légumes frais que pendant environ 4 mois par an. Il était donc d'usage de conserver les aliments en les salant et en les faisant mariner.
Tout le monde connaît les concombres marinés, encore aujourd’hui aliment de base de la gastronomie russe, mais autrefois, l’on trouvait aussi des pastèques salées et même des prunes salées à la table des tsars. Depuis l'époque d'Alexis Ier (1629-1676), la pastèque était cultivée à Astrakhan et apportée à la cour. Alexis essaya également d’en cultiver à Moscou, mais le goût se révéla bien inférieur.
Néanmoins, les pastèques n'étaient pas salées pour des raisons de conservation pendant les froides saisons, mais parce que l'Église orthodoxe interdisait de consommer des pastèques fraîches. Et ce, à cause de leur ressemblance avec la tête tranchée de Jean le Baptiste ! Ainsi, les pastèques étaient marinées dans du miel avec de l'ail et du sel, et gardaient étonnamment une saveur appréciable. Les prunes salées étaient elles aussi un met répandu.
Plus tard, Nicolas Ier se distingua pour ses préférences culinaires. Il ne mangeait en effet rien de sucré, mais il adorait accompagner son thé de croquants concombres marinés, et était bien le seul de sa famille.
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Le narval, connu également sous le nom de licorne des mers, est un cétacé célèbre pour posséder une longue corne pointue.
Dr. Kristin Laidre, Centre des sciences polaires, UW NOAA/OAR/OERLes tsars russes avant Pierre le Grand étaient aussi superstitieux que leurs sujets et, en l'absence de science médicale poussée, croyaient aux potions curatives, y compris celle concoctées à base de « corne de licorne ».
La poudre de « corne de licorne » était considérée comme un remède universel : elle soulageait toutes les maladies et était vue comme un antidote à usages multiples. Au XVIIe siècle, cet ingrédient coûtait même plus cher que l’or ! Les tsars et les nobles avaient l'habitude de dissoudre la poudre dans des boissons et de l'ingérer. Or, ce que les sorciers-docteurs faisaient alors passer pour des cornes de licorne n’étaient sans doute que celles de narvals, qui ressemblent fortement à l’attribut de cet animal légendaire, ce qui leur permettait de faire fortune.
Alexandre II s'entretient avec des paysans durant une partie de chasse
Klavdi LebedevUn autre plat incroyable des tsars russes était le foie d'ours, qu'Alexandre II (souverain de Russie de 1855 à 1881) appréciait grandement. Chasseur passionné, il était fermement opposé aux chasses « préparées », quand la proie est placée préalablement dans une zone spécifique dans les bois, de sorte qu'elle puisse être traquée facilement. Alexandre, lui, préférait se lancer dans de vraies parties de chasse, parfois à la recherche de proies pendant des jours. De plus, il adorait manger ce qu'il tuait, et ce, tout de suite. Ainsi, mettait-il de côté les cérémonies impériales pour déguster de la viande d'ours ou du foie d'ours rôti sur un feu de camp, une délicatesse que peu de gens jugeraient comestible, et encore moins savoureuse. De nos jours, le foie d'ours est considéré comme toxique, en raison de sa haute teneur en vitamine A, dangereuse pour l’homme.
Dans cet autre article, nous vous présentons d’autres plats pouvant paraître étranges, cette fois proposés aux cosmonautes russes.
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