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Aujourd’hui, la route maritime du Nord (RMN) est une artère de transport activement utilisée par la Russie, non seulement pour desservir ses territoires du Nord et de l’Extrême-Orient, mais aussi pour transporter des marchandises vers et depuis la Chine, par exemple. C’est une bonne chose, car la route maritime de Saint-Pétersbourg à Shanghai prend ainsi 28 jours, alors que la navigation par le canal de Suez en nécessiterait environ 50 jours.
Cependant, même aujourd’hui, il est presque impossible de naviguer dans l’océan Arctique sans une flotte spéciale capable de se frayer un chemin à travers la glace et de libérer les navires qui s’y trouvent piégés.
Le brise-glace nucléaire Yamal lors de travaux de recherche dans la mer de Kara, en 2015
Valeri Melnikov/SputnikDes glaces de trois mètres d’épaisseur 9 mois par an, des températures de -50 degrés Celsius, des rafales de vent pouvant atteindre 50 mètres par seconde et une nuit sans fin en hiver : voilà à quoi ressemble l’océan Arctique. Malgré le danger mortel que représente la navigation dans de telles conditions, de nombreux pays se sont efforcés de développer une route maritime à travers ces eaux froides afin de trouver le chemin le plus court entre l’Europe, la Sibérie et l’Extrême-Orient, puis entre l’Atlantique et le Pacifique.
C’est ainsi qu’au milieu du XVIe siècle, l’équipage du navire britannique Edward Bonaventure dirigé par Richard Chancellor a débarqué près de l’actuelle Severodvinsk. Le navire avait été envoyé par la Compagnie de Moscovie pour trouver une route maritime septentrionale vers la Chine. Cependant, les Britanniques et leurs voisins ne s’intéressaient pas seulement à cette route à cause de la Chine. Les Européens savaient que les meilleures fourrures, avec lesquelles les Russes commerçaient avec l’Europe d’abord par Kholmogory puis par Arkhangelsk (à environ 1 200 kilomètres au nord de Moscou), provenaient de Sibérie, et ils cherchaient à établir une communication et un commerce avec la ville sibérienne de Mangazeïa.
Vue de la ville de Mangazeïa, 1735
Domaine publicLes Pomors vivant dans le Nord russe ont été les premiers à découvrir les éléments de la route maritime du Nord. Ils commerçaient avec des marchands étrangers et étaient d’habiles navigateurs sur les mers du Nord. Ce sont eux qui ont commencé à commercer avec la Sibérie, ce qui a entraîné l’émergence de Mangazeïa, le centre du commerce sibérien. Toutes les richesses extraites des forêts sibériennes y affluaient et, de là, étaient envoyées par mer à Arkhangelsk, puis en Russie ou en Europe.
Participants à l'expédition de la goélette Zaria
Domaine publicL’activité des étrangers dans cette direction était si importante que le tsar russe a dû interdire aux marchands russes et étrangers d’emprunter la route maritime du Nord sous peine de mort.
Sur la base de l’expérience des Pomors, le diplomate russe Dmitri Guerassimov a élaboré au XVIe siècle le premier plan de la route maritime traversant l’océan Arctique, de l’Europe à la Chine. Il en a fait part à l’historien italien Paul Jove, qui n’a pas tardé à publier le projet de Guerassimov. L’idée a rapidement gagné en popularité tant en Europe qu’en Russie, mais il n’existait pas de possibilités techniques pour un voyage dans l’Arctique. Une route traversant l’océan Arctique a donc dû être oubliée jusqu’au XIXe siècle.
Gueorgui Ouchakov, 1930
SputnikCe n’est qu’à la fin des années 1870 que le navire suédois Vega a effectué la première navigation de transit. Après cette expédition, en 1893, les Norvégiens ont traversé l’océan Arctique. La troisième, en 1900-1902, a été menée par des explorateurs russes à bord de la goélette Zaria. Bien que les Russes n’aient pas été des pionniers, l’Union soviétique a ensuite été la première à prouver que la route maritime du Nord et la navigation hivernale pouvaient être utilisées efficacement.
Brise-glace Alexandre Sibiriakov, 1933
Mark Troïanovski/MAMM/MDF/Russia in photoUne nouvelle étape de l’exploration de l’Arctique a été franchie avec le développement des îles de l’océan Arctique : en 1926, une expédition dirigée par Gueorgui Ouchakov a débarqué sur l’île Wrangel. Une colonie et une station polaire y ont alors fondées. En 1929, le développement de la terre François-Joseph a également commencé – les deux territoires appartiennent aujourd’hui à la Russie. Quelques années plus tard, en 1933, l’URSS est devenue le premier pays à effectuer un voyage hivernal dans l’Arctique : l’expédition a livré des marchandises aux colons de l’archipel de la Nouvelle-Zemble.
Le navire à vapeur Tcheliouskine
SputnikAu début des années 1930, grâce au travail actif des chercheurs des années 20, les conditions nécessaires au plein développement de la route maritime du Nord étaient réunies. Des expéditions étaient régulièrement menées dans sa partie occidentale, un réseau de stations radio a été installé dans les points côtiers les plus importants, et des prévisions météorologiques et des glaces étaient déjà préparées pour les mers de Barents et de Kara. En 1932, l’expédition commandée par Otto Schmidt sur le brise-glace Alexandre Sibiriakov a franchi la totalité de la route maritime du Nord, d’Arkhangelsk à Vladivostok, en une seule navigation. Au cours de l’expédition, le navire a subi plusieurs pannes et le bateau à vapeur a même perdu son hélice, c’est-à-dire son moteur. Les explorateurs ont par conséquent fabriqué des voiles artisanales et navigué jusqu’à leur destination. Le trajet a au total nécessité deux mois et trois jours.
Membres de l'équipage du navire à propulsion nucléaire Lénine lors d'une excursion à ski pendant le court séjour du navire dans les glaces de l'Arctique en 1960
Evgueni Khaldeï/SputnikCependant, naviguer dans les glaces infranchissables de l’Arctique demeurait l’entreprise la plus difficile et la plus dangereuse. En 1933, après le triomphe de l’équipage de l’Alexandre Sibiriakov, le vapeur Tcheliouskine a pris la mer. Dans la mer des Tchouktches, il a été pris dans les glaces et a dérivé avec tout l’équipage pendant près de cinq mois, jusqu’à ce qu’il coule. Les passagers sont parvenus à s’échapper et ont vécu sur la banquise pendant deux mois, dans des conditions hivernales polaires, en attendant les sauveteurs – heureusement, tous ont finalement réussi à rejoindre le continent. Au milieu du siècle, la navigation est devenue plus sûre : en 1953, l’URSS a commencé à construire des brise-glaces nucléaires, ce qui a permis de naviguer toute l’année.
Ours polaires à la station dérivante Pôle Nord-19, 1970
Roman Denissov/SpoutnikLe premier brise-glace nucléaire, le Lénine, est entré en service en 1959. Grâce à la création de la flotte nucléaire, les voyages sont devenus plus réguliers et plus rapides. La durée du voyage а штш ramenée à 18 jours. Le nombre de ports, de stations polaires et d’observatoires dans l’Arctique était en plein essor.
En 1977, l’Arktika, deuxième brise-glace à propulsion nucléaire, est devenu le premier navire de surface à atteindre le pôle Nord.
Dans les années 1980, le volume du trafic a atteint son apogée – les chiffres de ces années n’ont été dépassés qu’en 2016.
Le brise-glace nucléaire Yamal lors de travaux de recherche dans la mer de Kara, en 2015
Valeri Melnikov/SputnikLa route maritime du Nord a permis à l’Union soviétique de développer activement l’Arctique et d’en faire une zone économique importante : des réserves de pétrole et de gaz y ont été découvertes, de nombreux ports et villes industrielles ont été fondés. Surtout, elle a ouvert une nouvelle voie de communication rapide avec l’Extrême-Orient et les pays d’Asie-Pacifique.
L'usine de production de gaz naturel liquéfié Yamal LNG
NovatekEn raison de la crise économique qui a éclaté après l’effondrement de l’URSS en 1991, le développement de la route maritime du Nord s’est considérablement ralenti. Néanmoins, depuis 2006, grâce aux projets du gouvernement et des grandes entreprises, le volume du trafic a commencé à augmenter rapidement. Aujourd’hui, le développement de la route maritime du Nord est reconnu comme une priorité stratégique et le gouvernement a approuvé un plan de développement de l’artère de transport jusqu’en 2035.
Selon Viatcheslav Roukcha, directeur général adjoint de la compagnie nationale d’énergie nucléaire Rosatom et directeur de la direction de la route maritime du Nord, la pandémie de coronavirus et la situation internationale ont entraîné des ajustements dans les plans de développement de la voie de navigation, mais l’artère de transport continue de fonctionner efficacement et de connaître un essor du trafic de marchandises. « Aujourd’hui, la principale mission de la route maritime du Nord est de garantir les intérêts nationaux du pays. Les entreprises russes assurent un trafic de marchandises suffisant en livrant du gaz naturel liquéfié et du pétrole via la RMN. Les objectifs de 2024 seront peut-être atteints plus tard, certains projets ayant été décalés d’un an. Mais je pense que l’objectif 2030 de 150 millions de tonnes de trafic de marchandises sera même dépassé », estime-t-il. À titre de référence, le flux de marchandises de la RMN pour 2022 était de 34,1 millions de tonnes, tandis que celui du canal de Suez est d’environ 1,4 milliard de tonnes.
Les pays d’Asie-Pacifique situés dans l’hémisphère nord sont intéressés par la route maritime du Nord. Pour eux, le transport de marchandises par la RMN est souvent plus avantageux économiquement que par le sud, via le canal de Suez. Par exemple, il ne faut que 28 jours pour livrer une cargaison de Saint-Pétersbourg à Shanghai par la RMN. La navigation par le canal de Suez prendrait environ 50 jours. La Chine porte un intérêt particulier à la RMN – à partir de cette année, la société chinoise Hainan Yangpu NewNew Shipping mettra cinq navires sur la ligne de transport régulier de conteneurs pendant la navigation d’été et d’automne.
Cependant, les experts ne considèrent pas la RMN comme une alternative au canal de Suez : « La route maritime du Nord offre des possibilités logistiques supplémentaires aux pays d’Europe du Nord et de l’Est et à certains pays de la région Asie-Pacifique. Le canal de Suez a des pays utilisateurs complètement différents, et nous ne pouvons attirer qu’environ 10% du trafic de marchandises en provenance de ce canal, soit environ 100 millions de tonnes », explique Roukcha. Les pays arabes s’intéressent également à la route maritime du Nord en tant qu’investisseurs.
Une autre tâche importante consiste à garantir une navigation tout au long de l’année dans la direction orientale de la route maritime du Nord. Les premières mesures seront prises dès 2024, lorsque des navires Arc7 renforcés de classe glace commenceront à livrer régulièrement des marchandises russes sur les marchés asiatiques. À l’heure actuelle, les voyages tout au long de l’année ne sont effectués que dans la partie occidentale de la RMN.
Dans cet autre article, découvrez pourquoi la Russie considère l’Arctique comme sien.
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