Andreï Kouspits
Kolbasny TsekhC’est au restaurant Kolbasny Tsekh (L’Atelier de Charcuterie), au sein de l’ancienne brasserie prérévolutionnaire Badaïevski, toute de briques rouges vêtue et entièrement rénovée en un complexe gastronomique et de divertissements des plus branchés, que nous accueille Andreï Kouspits, copropriétaire de l’établissement.
Après plusieurs années passées en France, où il opérait dans l’exportation de produits de bouche et côtoyait au plus près le monde gastronomique local, notamment lors de cours de charcuterie, Andreï a, en 2006, fait le choix de rentrer au pays, en Russie. Quatre ans plus tard, lui et son ami Nicolas Chavrot, qui menait des affaires depuis déjà bien longtemps sur la terre des tsars, ont lancé leur petite entreprise, baptisée Le Bon Goût.
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« En fait, au départ, Nicolas avait une idée. Il disait que ce n’était pas honnête que, quand il allait en France ou en Allemagne voir des amis russes, ils lui disaient toujours qu’il ne fallait rien ramener en nourriture, parce qu’ils trouvaient tout sur place, alors que, à Moscou, il y a beaucoup de Français qui vivent en permanence et reviennent toujours de France avec leurs valises remplies de bonnes choses, car la nourriture est le premier remède contre le mal du pays », nous explique-t-il.
Être en mesure de proposer à cette communauté des produits dignes de son intérêt et élaborés directement sur place est donc apparu comme une évidence, motivant l’invitation sur place d’un boucher français. Si la clientèle du Bon Goût se composait ainsi initialement de nombreux expatriés, ces derniers y ont par la suite amené des amis russes francophiles, qui y ont à leur tour entrainé des proches, Russes eux aussi, peu sensibles à cette thématique et souhaitant avant tout des produits bien familiers, tels que la fameuse saucisse du docteur, mais de qualité.
En effet, en Russie, la tradition artisanale bouchère et charcutière s’étant évanouie durant l’ère soviétique, il est de nos jours encore difficile d’y trouver des produits non industriels, pour lesquels les consommateurs locaux commencent seulement aujourd’hui à afficher un regain d’intérêt. En la matière, Le Bon Goût s’est donc imposé comme précurseur, permettant à sa production de rejoindre sans tarder les rayons de divers supermarchés.
Fort de sa réussite, le duo a ultérieurement décidé de proposer son aide à toute personne désirant rejoindre ce mouvement. Andreï a de cette manière été contacté par Dmitri Klimov, agriculteur, qui à l’époque nourrissait de son côté l’ambition d’établir une production de foie gras sur le territoire russe.
Après une première et vaine tentative, ils se sont ensemble adressés à Thierry Turla, un exploitant agricole de Gascogne cultivant du maïs destiné aux canards d’élevage. Après un séjour fort instructif chez ce dernier en 2015, Kouspits et Klimov ont alors regagné la Russie, chargés d’une valise contenant quelque 300 œufs prêts à éclore. Une fois cette merveille de la nature survenue, c’est avec les descendants de ces oiseaux que les deux hommes ont entamé leur production de foie gras au sein de la ferme Volny Vygoul (Plein Air), à 130 kilomètres de Moscou, dans la région de Vladimir.
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Malgré un processus couronné de succès, leur offre s’est malheureusement heurtée à la faible réceptivité du consommateur russe à l’égard de ce met. « On espérait beaucoup développer le foie gras, mais ça marche très mal parce que les gens en réalité, quand ils achètent nos produits de la ferme, disent en général "Oh génial vous faites du foie gras ! Alors, moi, je voudrais ce saucisson et ce poulet s’il vous plait" », nous confie en effet Andreï, une pointe de déception dans la voix.
La ferme ne s’est cependant pas arrêtée en si bon chemin et propose aujourd’hui sur son site des denrées des plus diverses, allant de pattes de canard confites aux filets de dinde et autres joues de bœuf. N’étant pas en capacité de fournir les restaurants, leurs produits sont livrés uniquement à des particuliers moscovites, à pied, et dans des bocaux étiquetés à la main.
Aux yeux d’Andreï, cette ferme est cependant avant tout un laboratoire expérimental, où il peut se rendre paisiblement et développer, accompagné d’un verre de vin et de vieux bouquins, des idées culinaires à appliquer par la suite dans son restaurant.
En octobre 2017, souhaitant laisser libre cours à ses talents de charcutier, Kouspits a en effet, en collaboration avec la société de l’éminent gastronome russe Arkady Novikov, inauguré le Kolbasny Tsekh. Vitrine de son savoir-faire, cet établissement est depuis parvenu à démontrer aux papilles moscovites que la production de mets, qui plus est délicieux, ne nécessite en rien l’implication d’immenses sites industriels.
Ici, les amateurs de viande n’ont que l’embarras du choix, qu’il s’agisse de saucisses et saucissons en tout genre ou de steaks et pâtés cuits à la perfection, tout est préparé dans les règles de l’art. Plus qu’un simple point de restauration, comme son nom l’indique, le Kolbasny Tsekh dispose en effet de son propre atelier de fabrication.
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N’ayant son pareil en ville, le concept du restaurant a rapidement attisé la curiosité, et ce, bien au-delà de l’agglomération moscovite. Des entrepreneurs venus d’aussi loin que Novossibirsk, en Sibérie, ou Ijevsk, en République d’Oumourtie, ont alors sollicité Andreï afin d’établir, dans leurs villes respectives de petits ateliers charcutiers similaires, capables de proposer des produits de qualité aux palais locaux, eux aussi de plus en plus exigeants.
À Ijevsk, au sein de l'atelier de charcuterie « Kolbass'ié ».
Kolbasny TsekhAvec son partenaire Ara Gasparyan, il a ainsi fondé la société Gasparyan Kouspits, apportant son soutien aux entrepreneurs désireux de suivre leurs traces, assurant leur formation et leur fournissant l’outillage nécessaire. Distributeurs de la marque française de matériel de boucherie-charcuterie Dadaux et partenaires de deux sociétés russes, ils ont également mis au point leur propre gamme d’équipement, moins onéreuse que l’offre européenne, et plus fiable que la chinoise.
Cet essor de la production locale, Andreï l’explique en partie par l’embargo alimentaire introduit en réponse aux sanctions occidentales. Privée de délicatesses venues de l’Ouest, la Russie se retrouve en effet aujourd’hui dans l’obligation de subvenir à ses besoins, créant d’innombrables opportunités pour les investisseurs et enthousiastes.
« Dans les métiers de bouche l’embargo est un peu en quelque sorte un moteur pour certains changements. Personnellement, je suis persuadé que la Russie peut faire de très bonnes choses, non seulement le Bolchoï et les missiles, mais aussi de très bons produits, tant traditionnels que non traditionnels pour le pays », soutient à ce propos Kouspits.
Une fois l’embargo levé, les productions occidentales referont surface dans les enseignes, mais selon Andreï, il leur sera plus difficile de reconquérir les consommateurs, ceux-ci manifestant de plus en plus de patriotisme dans leurs assiettes.
Retrouvez, en suivant ce lien, notre reportage sur la plus grande ferme d’Europe, près de la ville russe de Voronej, où des vaches venues de France ont rendu possible la production de fromages locaux.
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