Russia Beyond : Vous avez tendance à venir très souvent en Russie, quelle en est la raison : la mentalité des gens, les belles femmes russes, votre vie nocturne super-active ?
Frédéric Beigbeder : Je me souviens que la première fois que je suis venu en Russie, c'était juste après avoir publié 99 francs, et soudain, il y a eu ce succès énorme et je suis allé dans des endroits avec des gens que je ne connaissais pas, et immédiatement, il n'y a pas eu de bavardages superflus, ils me posaient des questions très profondes. Êtes-vous heureux ? Êtes-vous amoureux ? Vos parents vous aiment-ils ? Cela ne m'est jamais arrivé en France. Dans notre pays, les gens posent ces questions après de nombreuses années d'amitié.*
Alors je me suis demandé, qui sont ces gens, les Russes ? Quand ils boivent quelques shots de vodka, ils deviennent vraiment très intimes. C'est très russe et j’apprécie plutôt ça, parce que je n'aime pas perdre mon temps avec des conversations futiles.
Frédéric Beigbeder aux platines dans le restaurant Maroussia, à Moscou
Ilia Pitalev/SputnikLes Américains, c'est tout le contraire. Aux États-Unis, les gens prétendent que vous êtes amis : « Tu es incroyable ! Tu es magnifique ! Oh, c'est si merveilleux de te voir ! ». Mais ils ne vous rappellent jamais et ne vous posent jamais de questions importantes. Vous pouvez les voir souvent, et ils ne s'intéressent jamais à vos parents ou à votre vie amoureuse ; cela m'a frappé il y a 20 ans et c'est pourquoi j'ai tendance à venir si souvent en Russie.
Russia Beyond : Si vous deviez dresser une liste des auteurs russes contemporains qui mériteraient d’être publiés en France, qui y figurerait ?
Frédéric Beigbeder : Ils sont déjà traduits, mais je les aime beaucoup : Viktor Pelevine, Lioudmila Oulitskaïa, Vladimir Sorokine et Andreï Guelassimov. Leurs livres sont déjà vendus [en France]. Ce que j'adorerais, c'est de trouver de nouveaux écrivains russes !
Mon gros problème avec la Russie, c'est que je ne parle pas russe. Je pense que je pourrais avoir un passeport russe comme Gérard Depardieu, mais pour moi c'est absurde d’en avoir un sans parler russe. J'ai besoin de prendre des cours et d'apprendre le russe, c'est la prochaine étape.
Russia Beyond : L’intrigue de votre roman Au secours pardon se déroule en Russie. Vous avez également réalisé un film basé sur ce livre, intitulé L’Idéal, montrant des oligarques russes qui construisent des parcs aquatiques dans leurs appartements. Voyez-vous vraiment la Russie comme un endroit de festivités éternelles impliquant mannequins et oligarques ?
Frédéric Beigbeder : Quand je suis arrivé ici, au début des années 2000, ce n'était pas un cliché, c'était vraiment, réellement comme ça ! C'était comme un parc d'attractions pour adultes à Moscou et à Saint-Pétersbourg. C'était dingue. Ce n'est plus comme ça. À cette époque, le sentiment de libération du communisme était encore présent, et c'était incroyable : il y avait des casinos partout, des boîtes de nuit géantes, c'était un peu comme à Shanghai de nos jours. Oui, Shanghai ressemble un peu au Moscou d’il y a 20 ans.
Bien sûr, j'étais ébahi par ce que je voyais; à Paris c'était ennuyeux, à Londres c'était ennuyeux, à New York c'était fini. Cependant, Moscou était le centre du monde pour tous ceux qui aimaient faire la fête ou même ceux qui voulaient être libres. Je découvrais cela, puis j'ai écrit Au secours pardon à cette époque. Au secours pardon est un vieux livre, les gens qui le lisent maintenant pourraient penser : « La Russie n'est pas comme ça ! », mais elle l'était ! Je suis heureux d'avoir écrit ce livre parce que nous pouvons nous rappeler à quoi cela ressemblait il y a 15 ans.
Frédéric Beigbeder accordant des autographes au festival BookMarket de Moscou
Sergueï Kouznetsov/SputnikRussia Beyond : Le film russe Éléphant, que vous présentez à Moscou, se déroule à Saint-Pétersbourg. Quelle ville des deux préférez-vous, et pourquoi ?
Frédéric Beigbeder : Cela me briserait le cœur de choisir, mais vous savez, il y a ce fameux dicton : « Vous devez vivre à Moscou et mourir à Saint-Pétersbourg ». Je suis vieux, et si je vivais à Moscou, ce serait mauvais pour ma santé (à cause de la vie nocturne active). Je suppose donc que la beauté de Saint-Pétersbourg, ses canaux, l'Ermitage et ce palais à proximité, Peterhof, j'adore ça, avec la mer Baltique, c'est si beau !
Je choisirais Saint-Pétersbourg en mai. À cette période, les Nuits Blanches s'emparent de la ville, mais elles ne sont pas vraiment blanches, elles peignent le ciel de violet et de rose ! J'aime tellement ça !
Une scène du film "Élephant"
Alexeï Krasovski/58,5 Production, 2019Russia Beyond : Vous avez donné naissance à des films et des livres sur la Russie, et vous avez beaucoup observé notre pays au fil des ans. Selon vous, quels sont les principaux traits de caractère des Russes d'aujourd'hui ?
Frédéric Beigbeder : Les Russes ont différentes valeurs que nous avons probablement perdues en France. Nous les avons perdues en 1968, et ici, les gens sont plus religieux, plus attachés à la famille, il y a plus de valeurs traditionnelles en Russie qu'en France, en Espagne ou en Allemagne. Je ne sais pas si c'est mieux, mais c'est intéressant pour moi de voir cela ! En France ou en Amérique nous sommes très individualistes ; tout le monde est égoïste ; je ne suis pas sûr que les gens en Russie soient comme ça... pour l’instant !
Russia Beyond : Donc, vous avez dit qu'il y a 15 ans, la Russie était comme une fête sans fin d'oligarques et de mannequins. Comment la société a-t-elle évolué depuis ?
Frédéric Beigbeder : Par exemple, ce week-end, j'étais dans la rue avec Sergueï Minaïev[célèbre écrivain et journaliste russe contemporain]. Il y avait des foules immenses de personnes, prenant un verre dans la rue, assis avec un verre de vin en terrasse. Cela n'existait pas il y a 15 ans, vous n'aviez jamais ça, personne n'était dans la rue. Les gens étaient à l'intérieur des maisons, des immeubles et des clubs, ou dans leurs limousines, mais ils n'étaient pas dehors à prendre un verre. Moscou est devenue plus comme Paris, et c'est génial !
Sergueï m’a dit : « Je n'ai jamais vu Moscou comme ça, jamais ! ». Quelque chose de bien est en train de se produire, maintenant les gens sont dehors !
*La version originale de cet entretien, réalisée en anglais, est disponible en suivant ce lien. Les propos ont été traduits vers le français.
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