Selfie avec des ours bruns empaillés, au sein du Musée-réserve d'histoire et d'architecture du Kremlin de Riazan.
Alexandre Rioumine/TASSIl y a une maison à la limite du village. Qu’elle soit vieille et au bord de l’effondrement, ou sublimement restaurée, elle contient grossièrement toujours les mêmes objets : un ours empaillé aux yeux exorbités, deux sangliers du coin eux aussi passés entre les mains d'un taxidermiste, l’un dans sa fourrure d’hiver, l’autre dans celle d’été, un renard semblant être sous traitement médicamenteux, et une myriade d’herbes et de brindilles locales séchées. Dans une pièce faiblement éclairée, vous apercevrez ensuite des affiches aux couleurs passées racontant la longue histoire des lieux, avec une forte emphase au sujet de la lutte de la classe ouvrière. On peut également y observer quelques portraits de célébrités des environs, la plupart nées bien avant 1950, associés à quelques vers d’un poète local au talent douteux. Présidant tout cela, se trouvent une employée corpulente à lunettes ainsi qu’une femme de ménage à la tenue tâchée. Ce sont elles qui règnent en maîtres ici, dans ce musée d’histoire locale de province.
Le Musée national de la République de Kabardino-Balkarie, Naltchik.
Mikhaïl Djaparidze/TASSOui, c’est particulier, et pourtant on peut trouver ce type de structure dans presque toute ville de taille moyenne en Russie. On compte en effet plus de 800 musées d’histoire locale à travers le pays, ainsi que plus de 130 maisons et appartements faisant office de musées et commémorant la vie d’écrivains, d'explorateurs, de scientifiques ou encore de révolutionnaires. Parfois, la maison-musée ne possède pas un seul meuble ou objet personnel du héros qui y est célébré, alors à la place, on tente de « recréer l’atmosphère de l’époque ». Mais peut-être que le plus important est que ces établissements font office de point culturel dans des villes et villages où les lieux d’intérêt se font rares.
La Kunstkamera (Musée d'ethnographie et d'anthropologie de l'Académie des sciences de Russie, le tout premier musée à avoir ouvert ses portes dans le pays), Saint-Pétersbourg.
Alekseï Danitchev/SputnikComme beaucoup de choses en Russie, tout a commencé avec Pierre le Grand, qui a ordonné au peuple de remettre à la Douma toutes sortes de choses, anciennes et inhabituelles, y compris des os et des armes, contre récompense. Cela a été fait dans le but de garnir la Kunstkamera, chère à ses yeux, le premier musée du pays (1727). Plus tard au XVIIIe siècle, l’Académie des sciences de Russie a entamé des expéditions ethnographiques dans les lointaines régions de l’empire, et a exigé des autorités locales qu’elles fassent parvenir à la capitale des informations concernant « les forêts, fleuves, lacs, minerais, foires, moulins, etc ». Des descriptions de ces contrées reculées ont ainsi été rédigées et en 1782 le premier musée d’histoire locale a été inauguré à Irkoutsk, près du lac Baïkal, en Sibérie.
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Jusqu’au milieu du XIXe siècle, seules quelques personnes ont réalisé l’importance de l’histoire locale. Mais alors, Nicolas Ier (ayant régné de 1825 à 1855) a obligé les autorités dans tous les gouvernements de l’empire à publier des journaux régionaux. Aux quatre coins du pays, cela a inspiré des historiens amateurs à collecter des témoignages et à faire éditer des articles portant sur leurs découvertes. En parallèle, les églises se sont mises à rassembler et à entreposer des artefacts et reliques. Les trésors artistiques les plus significatifs se trouvaient cependant au sein des propriétés de campagne de la noblesse.
Une employée de musée travaillant dans la maison où Vladimir Oulianov (alias Lénine) a vécu de 1898 à 1900 durant son exil politique. Musée-réserve historique et ethnographique de Chouchenskoïé, région de Krasnoïarsk, Sibérie.
Alexandre Kriajev/SputnikSuite à la Révolution, les églises ont été fermées et les luxueuses propriétés nationalisées. Les trésors de la noblesse n’ayant pas été ravagés par les tourments de la guerre civile russe sont alors devenus propriétés d’État. Les musées locaux ont ainsi reçu des objets provenant de manoirs, d’églises et de monastères des environs. Les autorités bolchéviques n’avaient cependant pas les connaissances nécessaires pour superviser ces musées. Elles se sont donc tournées vers des personnes ayant été éduquées durant l’époque tsariste et en mesure de poursuivre ce travail. Certains membres de nobles familles sont par conséquent devenus gardiens de musées établis au sein même de leur ancien lieu de résidence.
Une femme en tenue traditionnelle tissant au Musée-réserve d’État d’histoire et d’architecture de Kiji, 350 kilomètres au nord-est de Saint-Pétersbourg.
Alekseï Danitchev/SputnikAu début des années 1930, bon nombre de ces individus ont toutefois été condamnés à la répression. Dès lors, les musées d’histoire locale ont eu pour mission non pas de préserver le passé mais de le blâmer, et de glorifier le futur communiste. Les expositions ont alors commencé à raconter comment le peuple soviétique avançait vers le communisme et à « étudier la force productrice et les ressources naturelles de notre pays ». Dans cette même décennie, Nadjeda Kroupskaïa, femme de Lénine et présidente adjointe du Commissariat du Peuple à l'éducation, a émis un communiqué appelant à détruire l’ensemble de la littérature prérévolutionnaire. Heureusement pour l’histoire russe, sa demande a été largement ignorée.
La génération d’après-guerre a nourri un regain d’intérêt pour l’histoire locale et des groupes de citadins ont commencé à voyager à travers la Russie rurale, en quête d’églises et de manoirs à l’abandon. Certains étaient des chercheurs, tandis que d’autres étaient de simples pilleurs souhaitant trouver des objets de valeur. Malheureusement, beaucoup d’anciens ouvrages, icônes et meubles ont de cette manière disparu entre les mains de collectionneurs privés, parfois étrangers.
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Peu à peu, l’histoire de la Russie a retrouvé le chemin des musées locaux sous la forme de statues de cire représentant des villageois en costumes traditionnels effectuant leurs tâches quotidiennes. Dans de nombreux musées, leurs visages ont été modelés d’après de véritables personnes ayant vécu dans les environs, permettant aux musées de devenir en silence des mémoriaux de la vie rurale du pays.
Suite à la perestroïka, le quotidien soviétique s’est retrouvé au cœur des musées d’histoire locale. Ainsi, l’électroménager, les vêtements démodés, les drapeaux rouges et les tenues de pionniers ont fait leur entrée dans les expositions. Au sein de ce type de structure, les amateurs de style soviétique peuvent par conséquent aujourd'hui admirer de véritables trésors.
Bâtiment principal du manoir Tarkhany, consacré à Mikhaïl Lermontov, région de Penza.
Musée-réserve de TarkhanyLes musées locaux les plus populaires sont ceux dédiés aux grands écrivains russes du XIXe siècle. Russia Beyond a contacté Lilia Tikhonova, ancienne guide du domaine de Tarkhany, où le poète Mikhaïl Lermontov a passé son enfance aux côtés de sa grand-mère, Elizaveta Arsenieva. De nos jours, les traditions locales sont perpétuées lors des excursions au sein de la propriété.
« La tradition du mariage de Tarkhany a été recréée à partir des témoignages d’habitants du coin. Ces cérémonies se distinguaient par les chants locaux et l’utilisation d’ornements de mariage traditionnels. Aujourd’hui, de jeunes couples visitent Tarkhany pour s’unir dans un style singulier », nous a confié Lilia.
Cérémonie de mariage à Tarkhany.
Musée-réserve de TarkhanyC’est par ailleurs dans les maisons-musées que les traditions personnelles et privées subsistent. À Tarkhany par exemple l’une d’elles a été soigneusement préservée. « Elizaveta Arsenieva, la grand-mère de Lermontov, aimait boire du thé dans une rotonde isolée dans son jardin. Aujourd’hui, lors des grandes occasions, telles que l’anniversaire de Lermontov ou d’Arsenieva, le personnel du musée organise un thé pour les invités dans cette même rotonde », explique Tikhonova.
La rotonde du domaine de Tarkhany.
Musée-réserve de TarkhanyIl est aisé de dire quels musées d’histoire locale sont les plus intéressants, puisqu’ils se trouvent généralement dans les villes les plus anciennes. Pour ce qui est des maisons-musées de personnages célèbres, c’est plus compliqué. Russia Beyond dispose cependant de nombreux articles à leur sujet. En voici quelques-uns :
L’hôtel particulier Riabouchinski
Le domaine de Polenovo (du peintre Vassili Polenov)
Le domaine de Iasnaïa Poliana (de Tolstoï)
Il vous est également possible de vous renseigner sur Internet au sujet d’établissements tels que :
L’appartement-musée d’Alexandre Pouchkine
Le musée Anna Akhmatova dans la Maison Fontaine
Dans cet autre article, retrouvez également 10 musées privés de Moscou et Saint-Pétersbourg à ne surtout pas manquer !
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